Mardi de la 3ème semaine de carême

 

Textes liturgiques

Oraison - Exaucez-nous, Dieu tout-puissant et miséricordieux, et accordez-nous, dans votre bonté, le don d’une continence salutaire.

Epitre du livre des Rois (IV R IV, 1-7) - En ces jours-là, une femme cria vers le prophète Elisée, en disant : Mon mari, votre serviteur est mort, et vous savez que votre serviteur craignait le Seigneur ; et maintenant son créancier vient pour prendre mes deux fils, et en faire ses esclaves. Elisée lui dit : Que voulez-vous que je fasse ? Dites-moi, qu’avez-vous dans votre maison ? Elle répondit : Votre servante n’a dans sa maison qu’un peu d’huile pour s’en oindre. Elisée lui dit : Allez emprunter de vos voisins un grand nombre de vases vides ; puis rentrez chez vous et fermez la porte sur vous. Et vous tenant au dedans, vous et vos fils, versez de l’huile dans tous ces vases, et quand Ils seront pleins, vous les enlèverez. Cette femme alla donc ; elle ferma la porte sur elle et sur ses enfants ; ses enfants lui présentaient les vases, et elle y versait de l’huile. Et lorsque les vases furent remplis, elle dit à son fils : Apportez-moi encore un vase. Il lui répondit : Je n’en ai plus. Et l’huile s’arrêta. Cette femme alla rendre compte de tout à l’homme de Dieu, qui lui dit : Allez, vendez cette huile, payez votre créancier puis vous et vos fils, vivez du reste.

Saint Evangile selon Saint Mathieu (Mt XVIII, 15-22) - En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples : Si ton frère a péché contre toi, va, et reprends-le entre toi et lui seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. Mais, s’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes, afin que toute l’affaire soit réglée par l’autorité de deux ou trois témoins. S’il ne les écoute pas, dis-le à l’Église ; et s’il n’écoute pas l’Église, qu’il soit pour toi comme un païen et un publicain. En vérité, je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié aussi dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié aussi dans le ciel. Je vous dis encore que si deux d’entre vous s’accordent sur la terre, quelque chose qu’ils demandent, ils l’obtiendront de mon Père qui est dans les cieux. Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. Alors Pierre, s’approchant de lui, dit : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il aura péché contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ? Jésus lui dit : Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.

Oraison sur le peuple - En nous protégeant défendez-nous, Seigneur, et gardez-nous sans cesse de toute iniquité.

Leçon de saint Augustin (Sermo 16 de verbis Dómini, tom. 10, post initium) - Pourquoi le reprends-tu ? Dans l’amertume de te sentir offensé ? Non, je l’espère ! Si tu agis ainsi par amour-propre, ton action est nulle ! Si tu agis par amour de l’autre, rien de mieux ! Pour savoir sous l’empire de quel amour tu dois agir, l’amour envers toi ou envers lui, prête donc bien attention aux paroles elles-mêmes. « S’il t’écoute, est-il dit, tu as gagné ton frère. » Donc, agis pour lui, dans l’intention de le gagner. En agissant de la sorte, tu le gagnes. Si tu ne l’eus fait, c’était sa perte. Comment est-il possible que la plupart des hommes ne prennent pas au sérieux de tels péchés ? Ils disent : « Qu’ai-je fait de grave ? J’ai péché contre un homme. » Prends cela au sérieux : c’est contre un homme que tu as péché.

Veux-tu le savoir ? Pécher contre un homme, c’est aller à ta perte. Si celui contre qui tu as péché te reprend, seul à seul, et que tu l’écoutes, il t’a gagné. Qu’est-ce à dire : « Il t’a gagné » ? Ceci : s’il ne te gagnait, tu étais perdu. D’ailleurs si tu n’étais pas perdu, comment a-t-il pu te gagner ? Que nul donc ne le prenne à la légère, si c’est contre son frère qu’il pèche. A un certain endroit, l’Apôtre le dit : « En péchant ainsi contre vos frères, en blessant leur conscience qui est faible, c’est contre le Christ que vous péchez. » Oui, certes, car tous nous sommes devenus membres du Christ. Toi qui pèches contre un membre du Christ, comment ne pèches-tu pas contre le Christ ?

Que personne donc ne dise : « Je n’ai pas péché contre Dieu, mais j’ai péché contre mon frère, j’ai péché contre un homme, il n’y a là que peccadille, voire même rien du tout ! » Sans doute parles-tu ainsi : « Il n’y a là que peccadille », parce que la guérison peut en être immédiate. Tu as péché contre ton frère ? Fais satisfaction et tu es guéri ! En un instant, tu l’as posé, cet acte porteur de mort. Mais en un instant, tu en as trouvé le remède. Mes frères, lequel d’entre nous oserait espérer le Royaume des Cieux, lorsque l’Évangile affirme : « Celui qui dit à son frère : mécréant sera passible de la géhenne de feu » ? Terrifiante perspective ! Mais, regarde, voici le remède. « Si donc tu présentes ton offrande à l’autel, et que là, tu te rappelles que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel » Dieu ne s’irrite pas si tu diffères de présenter ton offrande : c’est toi que cherche Dieu plutôt que ton offrande.

Commentaire de Dom Guéranger

La Station est dans l’Église de sainte Pudentienne, petite-fille du sénateur Pudens. Cette vierge illustra Rome chrétienne au IIe siècle par sa piété, sa charité et son zèle à ensevelir les corps des Martyrs. Son église est bâtie sur l’emplacement de la maison qu’elle habitait avec son père et sa sœur sainte Praxède, maison qui avait été, sous son aïeul, honorée de la présence de saint Pierre.

Sur l’Epître, les œuvres de miséricorde - Le mystère de cette lecture est facile à saisir. Le créancier de l’homme est Satan, à qui nos péchés ont donné sur nous d’immenses droits. Le seul moyen de nous acquitter est l’huile, c’est-à-dire la miséricorde, dont l’huile est le symbole par sa douceur. « Heureux ceux qui sont miséricordieux : car ils obtiendront eux-mêmes miséricorde » (Matth. V, 7) En ces jours de salut, préparons donc notre réconciliation par notre empressement à soulager nos frères, joignant l’aumône au jeûne, et pratiquant les œuvres de miséricorde. Par ce moyen, nous déchirons le cœur de Dieu ; et nous remettant lui-même notre dette, il enlèvera à Satan le titre qu’il s’apprêtait à faire valoir contre nous. Profitons de l’exemple de cette femme de l’Écriture : c’est loin des regards des hommes qu’elle remplit ses vases de l’huile mystérieuse ; fermons aussi notre porte pour faire le bien ; et « que notre main gauche ignore ce qu’aura fait notre main droite » (Matth. VI, 3). Observons encore ceci : l’huile ne s’arrête que lorsqu’il n’y a plus de vases à remplir. Ainsi notre miséricorde envers le prochain doit être proportionnée à nos moyens d’action. Dieu les connaît, et il ne veut pas que nous restions en deçà de ce que nous pouvons faire. Soyons donc larges en ce saint temps, et prenons la résolution de l’être toujours. Quand les ressources matérielles nous manqueront, soyons encore miséricordieux par nos désirs, par nos instances auprès des hommes, par nos prières auprès de Dieu.

Sur l’Evangile, le pardon des injures - La miséricorde que le Seigneur veut voir en nous ne consiste pas seulement à répandre l’aumône corporelle et spirituelle dans le sein des malheureux ; elle embrasse encore le pardon et l’oubli des injures. C’est ici que Dieu nous attend pour éprouver la sincérité de notre conversion. « La mesure dont vous aurez usé envers les autres, dit-il, sera celle dont on usera envers vous. » (Luc. VI, 38) Si nous pardonnons du fond du cœur à nos ennemis, le Père céleste nous pardonnera sans restriction à nous-mêmes. En ces jours de réconciliation, efforçons-nous de gagner nos frères, comme dit le Seigneur ; et pour cela, pardonnons, quand bien même il le faudrait faire septante fois sept fois. Nos rixes d’un jour sur le chemin de l’éternité ne doivent pas nous faire manquer le terme du voyage. Remettons donc les torts et les injures, et imitons la conduite de Dieu lui-même à notre égard.

Le sacrement de pénitence - Remarquons encore dans notre Évangile ces paroles qui sont le fondement de notre espérance, et qui doivent retentir jusqu’au fond de nos cœurs reconnaissants : Tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. Quel nombre immense de pécheurs vont faire l’expérience de cette heureuse promesse ! Ils confesseront leurs péchés, ils offriront à Dieu l’hommage d’un cœur contrit et humilié ; et au moment où le prêtre les déliera sur la terre, la main de Dieu au ciel les dégagera des liens qui les tenaient enchaînés pour les supplices éternels.

Enfin, n’oublions pas non plus cette autre parole qui est liée à la précédente : Si quelqu’un n’écoute pas l’Église, qu’il vous soit comme un païen et un publicain. Qu’est-ce donc que cette Église dont il est parlé ici ? Des hommes auxquels Jésus-Christ a dit : Qui vous écoute m’écoute ; qui vous méprise me méprise ; des hommes par la bouche desquels la vérité, qui seule peut sauver, arrive à l’oreille du Chrétien ; des hommes qui seuls sur la terre peuvent réconcilier le pécheur avec Dieu, lui fermer l’enfer et lui ouvrir le ciel. Devons-nous donc nous étonner après cela que le Sauveur, qui les a voulus pour ses intermédiaires entre lui et les hommes, menace de regarder comme un païen, comme un homme sans baptême, celui qui ne reconnaît pas leur autorité ? En dehors de leur enseignement, point de vérité révélée ; en dehors des Sacrements qu’ils administrent, point de salut ; en dehors de la soumission aux lois spirituelles qu’ils imposent, point d’espérance en Jésus-Christ.

Demandons à la Liturgie grecque quelques accents de pénitence, pour les offrir à Dieu aujourd’hui. Elle nous présente cette Hymne de saint André de Crète : (In V Feria V Hebdomadae.)

« Le Prophète ayant appris votre futur avènement, Seigneur : que vous deviez naître d’une Vierge et vous montrer au monde, fut saisi de crainte, et il dit : J’ai entendu le bruit de votre arrivée, et je me suis effrayé. Gloire soit à votre puissance, Seigneur !

« Juste Juge, ne méprisez pas l’ouvrage de vos mains ; ne dédaignez pas votre œuvre. Quoique j’aie moi seul péché, vous, ô Dieu clément, supérieur à tous les hommes dans votre humanité, vous avez encore le pouvoir de remettre les péchés, étant le Seigneur de tous.

« La fin s’approche, ô mon âme ! Elle est tout près, et tu ne t’inquiètes pas ? Tu ne te prépares pas ? Le temps presse, lève-toi : le juge est à la porte. La vie passe comme un songe, se flétrit comme une fleur : pourquoi donc nos vaines agitations ?

« Rentre en toi-même, ô mon âme ! Repasse tes œuvres, remets-les devant tes veux, verse d’abondantes larmes. Raconte au Christ tes actions et tes pensées, et deviens juste.

« O Sauveur ! Il n’est point dans la vie de l’homme de péchés, d’actions mauvaises que je n’aie commises, dans la pensée du moins et dans l’intention ; personne n’a été plus coupable que moi dans l’affection au mal, dans les jugements de l’esprit et dans les œuvres.

« C’est pourquoi j’ai encouru la damnation ; c’est pourquoi, malheureux, je suis tombé avec justice, et ma conscience est pour moi un juge plus terrible que tout ce que renferme le monde. O juge ! O rédempteur ! Vous me connaissez ; pardonnez, délivrez et sauvez votre serviteur.

« Le temps de ma vie est court, plein de fatigues et d’ennuis ; recevez en moi un vrai pénitent ; rappelez près de vous celui qui vous reconnaît. Que je ne sois point la possession et la proie de l’étranger ; vous êtes mon Sauveur, ayez pitié de moi.

« Je suis encore trop parleur, trop audacieux dans la témérité de mon cœur ; ne me condamnez pas avec le Pharisien, vous qui seul êtes miséricordieux ; donnez-moi l’humilité du Publicain. Juste juge, placez-moi avec lui.

« J’ai été ma propre idole ; j’ai corrompu mon âme par le péché ; recevez en moi un vrai pénitent ; rappelez près de vous celui qui vous reconnaît ; que je ne sois point la possession et la proie de l’étranger : vous êtes encore mon Sauveur, ayez pitié de moi.