Jeudi après les Cendres

 

Textes liturgiques

Oraison - O Dieu, que le péché offense et que la pénitence apaise, ayez égard dans votre clémence aux prières de votre peuple suppliant, et daignez détourner les fléaux de votre colère, que nous avons mérités pour nos péchés.

Epitre du Prophète Isaïe (Is XXXVIII, 1-6) - En ces jours-là, Ezéchias fut malade à la mort. Le prophète Isaïe, fils d’Amos, vint auprès de lui et lui dit : « Ainsi dit le Seigneur : Donne tes ordres à ta maison, car tu vas mourir, et tu ne vivras plus. » Ezéchias tourna son visage contre le mur et pria le Seigneur ; il dit : « Souvenez-vous, ô Seigneur, que j’ai marché devant votre face avec fidélité et intégrité, et que j’ai fait ce qui est bien à vos yeux ! » Et Ezéchias versa des larmes abondantes. Et la parole du Seigneur fut adressée à Isaïe en ces termes : « Va, et dis à Ezéchias : Ainsi, dit le Seigneur, le Dieu de David, ton père : J’ai entendu ta prière, j’ai vu tes larmes ; voici que j’ajouterai à tes jours quinze années. Je te délivrerai, toi et cette ville, de la main du roi d’Assyrie ; je protégerai cette ville, dit le Seigneur tout-puissant. »

Saint Evangile selon Saint Mathieu (Mt VIII, 5-13) - En ce temps-là : comme Jésus était entré à Capharnaüm, un centurion l’aborda et lui fit cette prière : « Seigneur, mon serviteur est couché dans ma maison, paralysé, et il souffre cruellement. » Il lui dit : « Je vais aller le guérir. » Le centurion reprit : « Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit ; mais dites seulement un mot, et mon serviteur sera guéri. Car moi qui suis sous des chefs, j’ai des soldats sous mes ordres, et je dis à l’un : Va, et il va ; et à un autre : Viens, et il vient ; et à mon serviteur : Fais ceci, et il le fait. » Ce qu’entendant, Jésus fut dans l’admiration, et il dit à ceux qui le suivaient : « Je vous le dis en vérité : dans Israël, chez personne je n’ai trouvé une si grande foi. Or je vous le dis : beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident, et prendront place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux, tandis que les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures : là seront les pleurs et le grincement de dents. » Et Jésus dit au centurion : « Va, et qu’il te soit fait selon ta foi ! » Et à l’heure même le serviteur se trouva guéri

Leçon de saint Augustin - Voyons, si au sujet du serviteur du centurion, Matthieu et Luc sont d’accord. Car Matthieu dit : « Un centurion s’approcha de lui en disant : Mon serviteur est gisant, paralytique en ma maison. » A cela semble s’opposer ce que dit Luc : « Et ayant entendu parler de Jésus, il lui envoya des anciens d’entre les Juifs pour le prier de venir et de guérir son serviteur. Et ceux-ci arrivés à Jésus le priaient avec insistance, lui disant : ‘Il est digne que tu lui accordes cette faveur, car il aime notre nation et il nous a bâti lui-même une synagogue. Jésus s’en allait donc avec eux et comme il n’était plus loin de la maison, le centurion lui envoya des amis lui dire : ‘Seigneur, ne vous donnez pas tant de peine, car je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit. »

Si en effet les choses se sont ainsi passées, comment sera-t-il vrai, le récit de Matthieu disant : « Un centurion s’approcha de lui », alors que le centurion n’est pas venu lui-même, mais a envoyé ses amis ? Il ne le sera que si, avec une attention diligente, nous comprenons que Matthieu ne s’est pas tellement écarté de nos façons habituelles de parler. Car non seulement nous avons coutume de dire que quelqu’un s’approche, avant même qu’il soit arrivé au lieu dont nous disons qu’il s’est approché, puisque nous disons qu’il s’est peu ou beaucoup approché du lieu où il désire arriver, mais nous disons même très souvent qu’on est parvenu jusqu’à celui qu’on voulait atteindre, quand on y arrive par un ami, sans même voir celui qui est touché et dont la faveur nous est nécessaire. Cette manière de dire est d’usage si courant, que le vulgaire donne le nom d’arrivistes à ceux qui, possédant l’art de l’intrigue, atteignent par l’intermédiaire de personnes convenablement choisies, les esprits de certains puissants personnages qui paraissent inaccessibles d’autre façon.

Ce n’est donc pas chose inconcevable que, pour dire le fait du centurion abordant Notre-Seigneur par l’intermédiaire de ses amis, Matthieu ait pu dire sous une forme abrégée que le vulgaire peut comprendre : « Un centurion s’approcha de lui. » Bien plus, il ne faut pas considérer négligemment la profondeur de cette locution mystique du saint Évangile, qui rappelle ce qui est écrit dans le Psaume : « Approchez-vous de lui et soyez illuminés » (Ps 33, 5). La foi du centurion qui l’a fait s’approcher de Jésus a été si hautement louée par le Seigneur qu’il en a dit : « Je n’ai pas encore trouvé si grande foi en Israël. » De là vient que l’Évangéliste, en son prudent langage, a voulu nous dire que le centurion s’était approché plus près de Jésus, que les amis par lesquels il avait envoyé son message.

Commentaire de Dom Guéranger

Bien que la loi du jeûne pèse sur nous depuis hier, nous ne sommes pas encore entrés dans le Carême proprement dit, dont la solennité ne s’ouvrira que samedi prochain, à Vêpres. C’est afin de distinguer du reste de la sainte Quarantaine ces quatre jours surajoutés, que l’Église continue d’y chanter les Vêpres à l’heure ordinaire, et permet à ses ministres de rompre le jeûne avant d’avoir satisfait à cet Office. A partir de samedi, il en sera autrement. Chaque jour, à l’exception du Dimanche, lequel n’admet pas le jeûne, les Vêpres des féries et des fêtes seront anticipées, en sorte qu’à l’heure où les fidèles prendront leur repas, l’Office du soir sera déjà accompli. C’est un dernier souvenir des usages de l’Église primitive ; autrefois les fidèles ne rompaient pas le jeûne avant le coucher du soleil, auquel correspond l’Office des Vêpres.

La sainte Église a distingué ces trois jours qui suivent le Mercredi des Cendres, en leur assignant à chacun une lecture de l’Ancien Testament, et une autre du saint Évangile, pour être faites à la Messe.

La Station à Rome est aujourd’hui dans l’Église de Saint-Georges-au-Voile-d’Or.

Préparation à la mort - Hier, l’Église nous remettait devant les yeux la certitude de la mort. Nous mourrons : la parole de Dieu y est engagée, et il ne saurait venir dans l’esprit à un homme raisonnable que sa personne puisse être l’objet d’une exception. Mais si le fait de notre mort est indubitable, le jour auquel il nous faudra mourir n’est pas moins déterminé. Dieu juge à propos de nous le cacher, dans les motifs de sa sagesse ; c’est à nous de vivre de manière à n’être pas surpris. Ce soir, peut-être, on viendra nous dire comme à Ézéchias (dans l’Epître) : « Donne ordre aux affaires de ta maison ; car tu vas mourir ». Nous devons vivre dans cette attente ; et si Dieu nous accordait une prolongation de vie comme au saint Roi de Juda, il faudrait toujours en venir tôt ou tard à cette heure suprême, passé laquelle il n’y a plus de temps, mais l’éternité. En nous faisant ainsi sonder la vanité de notre existence, l’Église veut nous fortifier contre les séductions du présent, afin que nous soyons tout entiers à cette œuvre de régénération, pour laquelle elle nous prépare depuis bientôt trois semaines. Combien de chrétiens ont reçu hier la cendre sur la tête, et qui ne verront pas ici-bas les joies pascales ! La cendre a été pour eux une prédiction de ce qui doit leur arriver, avant un mois peut-être. Ils n’ont cependant pas entendu la sentence en d’autres termes que ceux qu’on a prononcés sur nous-mêmes. Ne sommes-nous pas du nombre de ces victimes vouées à une mort si prochaine ? Qui de nous oserait affirmer le contraire ? Dans cette incertitude, acceptons avec reconnaissance la parole du Sauveur qui est descendu du ciel pour nous dire : Faites pénitence ; car le Royaume de Dieu est proche (Matth. IV, 17).

La prière - Les saintes Écritures, les Pères et les Théologiens catholiques distinguent trois sortes d’œuvres de pénitence : la prière, le jeûne et l’aumône. Dans les lectures qu’elle nous propose, durant ces trois jours qui sont comme l’entrée du Carême, la sainte Église veut nous instruire sur la manière d’accomplir ces différentes œuvres ; aujourd’hui, c’est la prière qu’elle nous recommande. Voyez ce centurion qui vient implorer auprès du Seigneur la guérison de son serviteur. Sa prière est humble ; c’est du fond de son cœur qu’il se juge indigne de recevoir la visite de Jésus. Sa prière est pleine de foi ; il ne doute pas un instant que le Seigneur ne puisse lui accorder l’objet de sa demande. Avec quelle ardeur il la présente ! La foi de ce gentil surpasse celle des enfants d’Israël, et mérite l’admiration du Fils de Dieu. Ainsi doit être notre prière, lorsque nous implorons la guérison de nos âmes. Reconnaissons que nous sommes indignes de parler à Dieu, et cependant insistons avec une foi inaltérable dans la puissance et dans la bonté de celui qui n’exige de notre part la prière qu’afin de la récompenser par l’effusion de ses miséricordes. Le temps où nous sommes est un temps de prière ; l’Église redouble ses supplications ; c’est pour nous qu’elle les offre ; ne la laissons pas prier seule. Déposons en ces jours cette tiédeur dans laquelle nous avons langui, et souvenons-nous que si nous péchons tous les jours, c’est la prière qui répare nos fautes, et qui nous préservera d’en commettre de nouvelles.

Oraison sur le Peuple - Humiliez vos têtes devant Dieu. Pardonnez, Seigneur, pardonnez à votre peuple, afin qu’après avoir été châtié comme il le méritait par vos fléaux, il respire enfin sous votre miséricorde Par Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.