Vendredi de la 1ère semaine de carême, quatre-temps de carême

 

Textes liturgiques

Oraison - Soyez, Seigneur, propice à votre peuple ; vous lui inspirez la piété envers vous, que votre miséricorde le soutienne de son bienfaisant secours.

Epitre du Prophète Ezéchiel (Ez XVIII, 20-28) - Voici ce que dit le Seigneur Dieu : L’âme qui pèche c’est celle qui mourra ; le fils ne portera pas l’iniquité du père, et le père ne portera pas l’iniquité du fils ; la justice du juste sera sur lui, et la méchanceté du méchant sera sur lui. Quant au méchant, s’il se détourne de tous ses péchés qu’il a commis, s’il observe tous mes préceptes et agit selon le droit et la justice, il vivra, il ne mourra pas. De toutes les transgressions qu’il a commises, on ne se souviendra plus à cause de la justice qu’il a pratiquée, il vivra. Prendrai-je plaisir à la mort du méchant, dit le Seigneur Dieu ? N’est-ce pas plutôt à ce qu’il se détourne de ses voies et qu’il vive ? Et si le juste se détourne de sa justice et qu’il commette l’iniquité, selon toutes les abominations que le méchant commet, il les ferait et il vivrait !... de toutes ses œuvres de justice qu’il a pratiquées, on ne se souviendra plus ; à cause de la transgression dont il s’est rendu coupable et de son péché qu’il a commis, à cause de cela il mourra. Vous dites : « La voie du Seigneur n’est pas droite ? » Ecoutez donc, maison d’Israël : Est-ce ma voie qui n’est pas droite ? Ne sont-ce pas vos voies qui ne sont pas droites ? Quand le juste se détourne de sa justice et commet l’iniquité, et que là-dessus il meurt, c’est à cause de l’iniquité qu’il a commise qu’il meurt. Et si le méchant se détourne de sa méchanceté qu’il a pratiquée et qu’il agisse suivant le droit et la justice, il fera vivre son âme. S’il ouvre les yeux et se détourne de toutes ses transgressions qu’il a commises, il vivra certainement, et il ne mourra point, dit le Seigneur tout-puissant.

Saint Evangile selon Saint Jean (Jn V, 1-15) - En ce temps-là, il y eut une fête des Juifs, et Jésus monta à Jérusalem. Or, à Jérusalem, près de la porte des Brebis, il y a une piscine qui s’appelle en hébreu Béthesda, et qui a cinq portiques. Sous ces portiques étaient couchés un grand nombre de malades, d’aveugles, de boiteux et de paralytiques. Ils attendaient le bouillonnement de l’eau. Car un ange du Seigneur descendait à certains temps dans la piscine, et agitait l’eau. Et celui qui y descendait le premier après l’agitation de l’eau, était guéri de son infirmité quelle qu’elle fut. Là se trouvait un homme malade depuis trente-huit ans. Jésus l’ayant vu gisant et sachant qu’il était malade depuis longtemps, lui dit : « Veux-tu être guéri ? » Le malade lui répondit : « Seigneur, je n’ai personne pour me jeter dans la piscine dès que l’eau est agitée, et pendant que j’y vais, un autre descend avant moi. » Jésus lui dit « Lève-toi, prends ton grabat et marche. » Et à l’instant cet homme fut guéri ; il prit son grabat et se mit à marcher. C’était un jour de sabbat. Les Juifs dirent donc à celui qui avait été guéri : « C’est le sabbat, il ne t’est pas permis d’emporter ton grabat. » Il leur répondit : « Celui qui m’a guéri m’a dit : Prends ton grabat et marche. » Ils lui demandèrent : « Qui est l’homme qui t’a dit : Prends ton grabat et marche ? » Mais celui qui avait été guéri ne savait pas qui c’était ; car Jésus s’était esquivé, grâce à la foule qui était en cet endroit. Plus tard, Jésus le trouva dans le temple et lui dit : « Te voilà guéri ; ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pire. » Cet homme s’en alla, et annonça aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri.

Oraison sur le peuple - Ecoutez-nous, ô Dieu de miséricorde, manifestez à nos âmes la lumière de votre grâce.

Leçon de saint Augustin (Tractátus 17 in Ioánnem) - Voyons ce que le Seigneur a voulu signifier par cet unique malade que, pour garder le mystère de l’unité, il a daigné guérir, – lui seul – parmi tant de malades. Il a trouvé dans son âge un nombre qui semble indiquer la maladie. « Il était infirme depuis trente-huit ans. » Il nous faut expliquer avec un peu plus de soin comment ce nombre convient mieux à la maladie qu’à la santé. Je demande toute votre attention. Que le Seigneur soit présent, qu’il me donne de parler comme il convient, qu’il vous accorde de bien comprendre. Quarante est pour nous un nombre sacré. Il marque une certaine perfection. Je pense que la chose est bien connue de votre charité. Très souvent, les saintes Écritures l’attestent : le jeûne est consacré par ce nombre, vous le savez bien. Car Moïse a jeûné quarante jours ; Élie aussi, tout autant. Et notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ lui-même a rempli ce nombre du jeûne. Par Moïse est signifiée la Loi, par Élie sont signifiés les Prophètes, par le Seigneur est signifié l’Évangile. Voilà pourquoi tous trois apparurent sur cette montagne où Jésus se montra à ses disciples dans l’éclat de son visage et de ses vêtements. Il apparut au milieu, entre Moïse et Élie, comme l’Évangile qui reçoit le témoignage de la Loi et des Prophètes.

Donc, soit dans la Loi, soit dans les Prophètes, soit dans l’Évangile, le nombre quarante nous est recommandé comme convenant au jeûne. Or, le grand jeûne, le jeûne qui oblige tous les hommes, consiste à s’abstenir du mal et des plaisirs illicites de ce monde. Tel est bien le jeûne parfait : « Rejeter l’impiété et les convoitises du monde pour vivre avec mesure, justice et piété dans le siècle d’ici-bas ». Quelle récompense l’Apôtre attache-t-il à ce jeûne ? Il le dit car il poursuit : « Attendant l’espérance bienheureuse et la manifestation de la gloire de notre bienheureux Dieu et Sauveur, Jésus le Christ ». Nous célébrons donc en ce monde comme un Carême d’abstinence lorsque notre vie est bonne, lorsque nous nous abstenons du mal et des plaisirs illicites. Mais comme cette abstinence ne sera pas sans récompense, nous attendons « l’espérance bienheureuse et la révélation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur Jésus le Christ. » Et cette espérance, lorsque d’espérance, elle sera devenue réalité, nous recevrons un denier pour salaire. C’est ce salaire qui, selon l’Évangile, est donné aux ouvriers qui travaillent dans la vigne, – vous vous en souvenez, je pense, et il n’est point nécessaire de tout vous rappeler comme si je m’adressais à des ignorants et à des incapables. Un denier donc, – qui tire son nom du nombre dix, – est donné. Joignons-le au nombre quarante, nous obtenons cinquante. Ainsi nous célébrons avec labeur le Carême avant Pâques, mais avec joie, les cinquante jours après Pâques comme si nous avions reçu notre salaire.

Souvenez-vous de mon projet : je veux expliquer en cet infirme le nombre de trente-huit ans : pourquoi ce nombre trente-huit convient-il à la maladie plutôt qu’à la santé ? Donc, comme je le disais, la charité est l’accomplissement de la Loi. Le nombre quarante indique l’accomplissement de la Loi dans toutes les œuvres. Mais dans la charité, deux commandements nous sont enjoints : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit », et « tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi ainsi que les Prophètes ». Oui, cette veuve qui a donné deux petites pièces dans les offrandes faites à Dieu a bien donné tout ce qu’elle avait, et de même c’est à dessein que l’aubergiste a reçu deux deniers pour ce blessé, victime des brigands, ainsi pourra-t-il le guérir. A dessein aussi Jésus est demeuré deux jours auprès des Samaritains pour les affermir dans la charité. Et donc, lorsque par ce chiffre deux est signifié quelque bien, c’est la double charité qui nous est recommandée par-dessus tout. Par conséquent, si le nombre quarante a la perfection de la Loi et si la Loi n’est accomplie que par le double précepte de la charité, pourquoi t’étonnes-tu que soit atteint de langueur celui qui avait deux de moins que quarante ?

Commentaire de Dom Guéranger

La Station est dans la Basilique des Douze-Apôtres, l’une des plus augustes de Rome, enrichie des corps des deux Apôtres saint Philippe et saint Jacques le Mineur

Sur l’Epître - Portons nos regards sur les pénitents publics que l’Église se prépare à rétablir bientôt dans la participation des Mystères. Mais auparavant ils ont besoin d’être réconciliés avec Dieu qu’ils ont offensé. Leur âme est morte par le péché ; pourra-t-elle donc revivre ? Oui, le Seigneur nous l’atteste ; et la lecture du Prophète Ézéchiel, que l’Église commençait hier pour les Catéchumènes, elle la continue aujourd’hui en faveur des pénitents publics. « Que l’impie, dit le Seigneur, fasse pénitence de tous les péchés qu’il a commis ; qu’il garde désormais mes préceptes : il vivra certainement, et il ne mourra pas. » Cependant ses iniquités sont là, qui s’élèvent contre lui ; leur voix est montée jusqu’au ciel et provoque une vengeance éternelle. Assurément, il en est ainsi ; mais voici que le Seigneur qui sait tout, qui n’oublie rien, nous déclare qu’il ne se souviendra plus de l’iniquité rachetée par la pénitence. Telle est la tendresse de son cœur paternel, qu’il veut bien oublier l’outrage qu’il a reçu d’un fils, si ce fils revient sincèrement à son devoir. Ainsi nos pénitents seront réconciliés, et au jour de la Résurrection du Sauveur, ils se mêleront aux justes, parce que Dieu ne gardera plus souvenir de leurs iniquités ; ils seront devenus justes eux-mêmes. En remontant par la pensée le cours des âges, nous nous retrouvons ainsi en face de ce grand spectacle de la pénitence publique, dont la Liturgie, qui ne change pas, a seule conservé les traces aujourd’hui. De nos jours, les pécheurs ne sont plus mis à part ; la porte de l’église ne leur est plus fermée ; ils se tiennent souvent tout près des saints autels, mêlés aux justes ; et quand le pardon descend sur eux, l’assemblée des fidèles n’en est point avertie par des rites spéciaux et solennels. Admirons la miséricorde divine, et profitons de l’indulgence de notre mère la sainte Église. A toute heure et sans éclat, la brebis égarée peut rentrer au bercail : qu’elle use donc de la condescendance dont elle est l’objet, et qu’elle ne quitte plus désormais le Pasteur qui a daigné l’accueillir encore. Quant au juste, qu’il ne s’élève pas par une vaine complaisance, en se comparant à la pauvre brebis égarée ; qu’il médite ces paroles : « Si le juste se détourne de la justice, s’il commet l’iniquité, toutes les œuvres de justice qu’il avait faites, on ne s’en souviendra plus ». Craignons donc pour nous-mêmes, et ayons pitié des pécheurs. La prière des fidèles pour les pécheurs, durant le Carême, est un des grands moyens sur lesquels compte l’Église pour obtenir leur réconciliation.

Sur l’Evangile - Revenons encore sur nos pénitents de l’antiquité ; le passage sera facile à ceux d’aujourd’hui et à nous-mêmes. Nous venons devoir par le Prophète la disposition du Seigneur à pardonner au pécheur repentant. Mais comment ce pardon sera-t-il appliqué ? Par qui la sentence d’absolution sera-t-elle prononcée ? Notre Évangile nous l’apprend. Ce malheureux paralytique de trente-huit ans figure le pécheur invétéré ; cependant il est guéri, et le voici qui marche. Que s’est-il donc passé ? Écoutons-le d’abord : « Seigneur, dit-il, je n’ai point d’homme pour me jeter dans la piscine ». L’eau de cette piscine l’eût sauvé ; mais il lui fallait un homme pour l’y plonger. Le Fils de Dieu sera cet homme ; c’est parce qu’il s’est fait homme que nous sommes guéris. Comme homme, il a reçu le pouvoir de remettre les péchés, et avant de monter aux cieux, il dit à d’autres hommes : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ». Nos pénitents seront donc réconciliés avec Dieu, en vertu de ce pouvoir surnaturel ; et le paralytique levant avec facilite son grabat, et l’emportant sur ses épaules, comme un trophée de sa guérison, est la figure du pécheur auquel l’Église de Jésus-Christ, en vertu du divin pouvoir des clefs, a remis ses iniquités.

Au IIIe siècle du christianisme, un hérétique, Novatien, osa enseigner que l’Église n’avait pas le pouvoir de remettre les péchés commis depuis le baptême. Cette erreur désespérante fut proscrite par les conciles et les saints docteurs ; et, pour exprimer aux yeux des fidèles l’auguste puissance que le Fils de l’homme a reçue pour purifier toute âme pénitente, on peignit, dans les lieux où les chrétiens s’assemblaient, le paralytique de notre Évangile marchant libre et dégage, son grabat sur les épaules. Cette consolante image se rencontre fréquemment sur les fresques des Catacombes de Rome, contemporaines de l’âge des Martyrs. Nous apprenons sur ces monuments l’intention de cette lecture de l’Évangile que l’Église, depuis tant de siècles, a fixée à ce jour.

L’eau de la piscine Probatique était aussi un symbole ; mais il était destiné à l’instruction des Catéchumènes. C’est par l’eau qu’ils devaient être guéris, et par une eau divinement fécondée d’en haut. Ce miracle, dont Dieu favorisait encore la Synagogue, ne servait chez les Juifs qu’à la guérison du corps, et seulement pour un seul homme, à rares intervalles ; mais depuis que l’Ange du grand Conseil est descendu des cieux et qu’il a sanctifie l’eau du Jourdain, la piscine est partout ; à chaque heure son eau rend la santé aux âmes, depuis l’enfant naissant jusqu’au vieillard. L’homme est le ministre de cette grâce ; mais c’est le Fils de Dieu devenu Fils de l’homme qui opère. Disons aussi un mot des malades que l’Évangile nous représente comme rassemblés dans l’attente de la guérison. C’est l’image de la société chrétienne, en ces jours. Il y a des languissants, hommes tièdes qui ne rompent jamais franchement avec le mal ; des aveugles, chez lesquels l’œil de l’âme est éteint ; des boiteux, dont la marche dans la voie du salut est chancelante ; des malheureux dont les membres sont desséchés, impuissants à toute espèce de bien ; ils espèrent dans le moment favorable. Jésus va venir à eux ; il va leur demander, comme au paralytique : Voulez-vous être guéris ? Question remplie d’une charité divine ! Qu’ils y répondent avec amour et confiance, et ils seront guéris.

Rendons hommage au céleste médecin de nos âmes, en lui exprimant nos vœux par ces strophes de l’Église grecque, dans son Triodion :

« Toi qui par tes souffrances as délivré l’homme des mauvaises passions, fais, Seigneur, que ta divine croix éloigne les penchants de ma chair, et que je contemple ta sainte Résurrection.

« Source de pureté, Seigneur miséricordieux, conserve-nous par le mérite de ce jeûne ; vois-nous prosternés à tes pieds, vois nos mains élevées vers toi qui as étendu les tiennes sur le bois pour tous les mortels, unique Seigneur des Anges.

« Les illusions de l’ennemi m’ont jeté dans les ténèbres ; éclaire-moi, ô mon Christ ! Toi qui, suspendu à la croix, as obscurci la lumière du soleil et fait luire sur tes fidèles la lumière du pardon. Que je marche à la lueur de tes préceptes, et que j’arrive purifié aux splendeurs salutaires de ta Résurrection.

« O Sauveur ! ô Christ ! Semblable à une vigne attachée au bois, tu as arrosé toute la terre du vin de l’immortalité. Je m’écrie : Déjà tu m’as versé, à moi aveuglé par mes péchés, le suc de la douce componction ; maintenant donne-moi la force de jeûner des plaisirs coupables, toi qui es bon et miséricordieux.

« O puissance de ta croix ! c’est elle qui a fait fleurir dans l’Église le germe de l’abstinence, en arrachant l’ancienne intempérance qui, dans Éden, fit tomber Adam ; celle-ci a été une source de mort pour les hommes ; celle-là est pour le monde un fleuve d’immortalité toujours pur, qui coule comme d’un autre paradis dans ton sang vivifiant uni avec l’eau ; c’est de là que tout a repris la vie ; par ce fleuve , fais-nous goûter des délices dans le jeûne, ô Dieu d’Israël ! Toi dont la miséricorde est si grande. »