Homélie de saint Augustin pour la fête de la Toussaint

Homélie de saint Augustin sur le sermon sur la Montagne (leçons de Matines de la Toussaint)


Si l’on demande ce que signifie la montagne, on peut bien dire qu’elle signifie des préceptes de justice plus élevés, parce que ceux qui avaient été donnés aux Juifs étaient inférieurs. C’est toutefois le même Dieu qui, réglant avec un ordre admirable l’économie des temps, a donné, par ses saints Prophètes et par ses autres serviteurs, des préceptes moins parfaits à un peuple qu’il fallait encore contenir au moyen de la crainte, et, par son Fils, des préceptes plus parfaits, à un peuple qu’il convenait d’affranchir au moyen de la charité. Si de moindres commandements sont donnés à des âmes moins parfaites, et de plus grands à de plus parfaites ils sont toujours donnés par Celui qui est le seul à bien savoir fournir au genre humain le remède approprié à la diversité de ses besoins.

Et il ne faut pas s’étonner que le même Dieu, créateur du ciel et de la terre, donne, en vue du royaume des cieux, de plus grands préceptes, après en avoir donné de moindres pour celui de la terre. C’est de cette justice plus grande, que le Prophète a dit : « Votre justice est comme les montagnes de Dieu. » Et c’est ce que figure très bien la montagne où cette justice est enseignée par l’unique et seul Maître capable d’enseigner des choses si sublimes. Or il enseigne étant assis, ce qui appartient à la dignité du magistère. Et ses disciples s’approchent de lui : rapprochés de Jésus par la volonté d’accomplir ses préceptes, il fallait bien qu’ils fussent aussi plus près pour entendre ses paroles. « Et ouvrant sa bouche, il les instruisait, disant. » Cette périphrase de l’écrivain sacré : « Et ouvrant sa bouche, » semble avertir, en retardant son début, que le discours doit avoir une certaine étendue. A moins encore que ce ne soit pour rappeler que celui qui ouvre en ce moment la bouche, a lui-même ouvert, dans l’ancien Testament, la bouche des Prophètes.

Or, que dit-il ? « Bienheureux les pauvres d’esprit, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. » Nous lisons dans l’Écriture, au sujet de la convoitise des biens temporels : « Tout est vanité et présomption d’esprit. » Présomption d’esprit veut dire orgueil et arrogance. On dit même vulgairement des superbes qu’ils ont de l’enflure d’esprit, et avec raison, puisque le vent est aussi appelé esprit ou souffle, comme nous le voyons dans ce verset d’un Psaume : « Feu, grêle, neige, glace, souffles des tempêtes. » Qui ne sait qu’on appelle les orgueilleux des gens bouffis, comme qui dirait gonflés de vent ? De là encore ce mot de l’Apôtre : « La science enfle, mais la charité édifie. » C’est pourquoi par ces pauvres en esprit, sont justement désignés ceux qui sont humbles et qui craignent Dieu, c’est-à-dire qui n’ont point en eux cet esprit d’enflure.